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La « sobriété » s’imposera-t-elle dans le transport aérien – et sous quelle forme ?

Cet article, rédigé dans le cadre de la commission « énergie et environnement » de l’Académie de l’Air et de l’Espace, n’est pas un document officiel de l’Académie, mais le résultat d’une rédaction commune coordonnée par Éric Dautriat avec la contribution et l’accord des membres suivants : Pierre Andribet, Philippe Forestier, Jean-Michel Fourtanier, Jean-Marc Garot, Alain Joselzon, Michel Wachenheim

Pour évoquer la sobriété éventuelle dans le domaine du transport aérien, il est indispensable de la placer dans un contexte général.

La sobriété est une notion aux contours variables, que l’on doit s’efforcer de distinguer de l’efficacité énergétique, même si les deux notions sont liées : la première concerne les comportements et les usages, la seconde les solutions techniques et opérationnelles (ainsi pour l’aviation : l’amélioration des performances, les carburants alternatifs, l’optimisation des vols). La première est plus complexe et plus controversée que la seconde ; elle peut induire des effets collatéraux intempestifs ; elle met en cause, par définition, des modes de vie acquis et la définition même des « vrais besoins ». Elle peut découler de deux approches inverses mais convergentes : d’un côté, un choix de société qui viserait à assagir l’emballement de laconsommation propre aux dernières décennies ; de l’autre, une réponse complémentaire à la décarbonation, dans la mesure où les solutions d’efficacité énergétique et d’absorption de carbone (sous forme notamment des compensations, pour l’aérien) ne suffiront pas dans les délais visés. Elle peut être volontaire, voire spontanée, très individuelle ou au contraire organisée au niveau de la société ; elle peut être contrainte par une offre restreinte ou par des prix en hausse ; elle peut ou non faire l’objet d’incitations de la part des pouvoirs publics, qui ont par ailleurs pour charge de mettre en place les conditions optimales pour qu’elle puisse advenir. Pour le transport aérien, tous ces modes peuvent coexister ; outre une évolution des comportements qui risque d’être assez marginale au moins dans les débuts, ce qui semble le plus probable est une « sobriété », si l’on peut encore l’appeler ainsi, induite tout simplement par un accroissement du prix des billets consécutif à l’utilisation des carburants alternatifs.

Le débat sur la sobriété, fortement amplifié de façon conjoncturelle, ces derniers temps, par la crise géopolitique de l’énergie, est essentiellement européen. En ce qui concerne le transport aérien, par essence mondial, c’est un très lourd inconvénient. Pour autant, cette situation, peut-être provisoire, ne saurait suffire à prohiber la réflexion sur un modèle de société et un modèle de transports proprement européens : le transport aérien n’est pas une activité hors sol (si l’on ose dire). En particulier, le développement des relations virtuelles impacte la fréquence les vols professionnels, et le tourisme connaît, en soi, des débuts de remises en cause sous sa forme actuelle – bien que le retour à la vie normale postpandémie montre une soif de voyage à étancher, et que le voyage lointain, apanage de l’avion, soit en tout état de cause un fait civilisationnel qu’il convient de préserver et dont il faut prendre la mesure des effets sociétaux bénéfiques.

La sobriété est reliée notamment à deux autres concepts qui nourrissent le débat écologique et social : le développement durable, dont elle est, au fond, une composante ; et la décroissance, notion diversement utilisée et tendant pour cela à être porteuse de malentendus. Il convient de bien distinguer cette notion du premier concept,– même si des « décroissances » partielles, ciblées, thématiques, peuvent l’accompagner.

On peut être tenté de penser qu’entre l’efficacité énergétique, notamment dans le domaine aérien, et la sobriété, la seconde est de loin la plus rapide à mettre en oeuvre. En somme il n’y aurait qu’à la décider.

C’est sûrement simpliste et fallacieux. Les évolutions volontaires seront très vraisemblablement progressives, et la mise en place de contraintes, en elle-même peu souhaitable, nécessiterait, on a pu le constater à diverses reprises, un minimum de consensus social, qui n’est pas acquis aujourd’hui, notamment
pour le transport aérien, malgré certaines prises de position militantes. La sobriété ne peut se substituer à la recherche « technique » d’efficacité, qui est même la plus urgente et ardente obligation. Pour autant, on peut imaginer un couplage des deux, par exemple si l’arrivée progressive de vols de plus en plus décarbonés
permettait de satisfaire, à un prix plus élevé, le désir de sobriété d’une partie des usagers.

Le plus important est de se débarrasser des postures et des a priori de part et d’autre. L’aviation bashing est injuste et ridicule ; à l’inverse, le refus techniciste et conservateur de questionner la voracité énergétique des sociétés contemporaines, aviation comprise (à sa juste place, ni plus, ni moins) est une impasse. Entre ébriété et sobriété, il faut choisir ; à l’inverse, sobriété et efficacité ne sont pas rivales mais complémentaires, à des dosages que nul ne peut encore prédire. C’est un grand et noble sujet de débat public, un sujet politique s’il en fut.

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