Par Cordula BARZANTNY, Professor of international & intercultural management à la Toulouse Business School/ TBS Education et membre titulaire de l’Académie de l’air et de l’espace

 

Après deux années de rencontres virtuelles pour le public durant la crise du Covid-19, la 9e édition du Paris Air Forum qui se tient enfin de nouveau à la Maison de la Mutualité le mardi 7 juin 2022. Cette nouvelle formule en hybride permet à un plus grand auditoire de suivre les débats sur place et à distance.

Après l’ouverture proclamée par Max ARMANET (président de Forum Media, et cofondateur, partenaire et président du comité scientifique du Paris Air Forum dès sa première édition en 2014)

Jean-Christophe TORTORA (président de La Tribune) accueille le public en exprimant sa grande joie de pouvoir enfin renouer les contacts et interactions interpersonnelles de visu sans toujours avoir à passer par les écrans informatiques.

L’hôte et co-fondateur du Paris Air Forum, Augustin De ROMANET (PDG d’ADP) se félicite également de pouvoir proposer à nouveau cette journée de dialogue et d’échanges intergénérationnels aux plus hauts niveaux pour le progrès et l’innovation du secteur industriel aéronautique et spatiale, civile autant que militaire. En effet, l’évènement a fini par intégrer successivement l’ensemble du secteur à travers les délégués présents sur le Forum depuis la première édition. Si les tables rondes et discussions entre cadres dirigeants ont initialement réunies des représentants de l’aviation civile internationale, le Paris Air Forum s’est vite élargi, grâce à quatre sessions parallèles, à toute l’industrie aéronautique comme le spatial faisant intervenir des constructeurs et sous-traitants de toute la chaine de valeur intervenant aussi dans les applications de défense ; et ceci toujours dans le contexte européen et international caractéristique de l’envergure mondiale de ce secteur.

 

Puisque les défis du transport aérien et spatial se présentent bien à l’échelle de l’Europe comme au-delà, Jean-Christophe Tortora rappelle à l’auditoire présent ainsi que connecté par transmission directe combien ensemble nous allons plus loin.

Bien qu’au début du Paris Air Forum en 2014, on s’y soit d’abord focalisé sur la compétitivité du transport aérien face à des compagnies sous tension, le Forum s’est bien vite étendu au spatial et à la défense qui revêt encore plus en 2022 une importance majeure et dont les industriels, organisations et institutions se sont montrés de plus en plus présents au cours des 8 précédentes éditions.

Aujourd’hui, les thèmes de l’énergie dans le transport aérien et notamment des SAF (sustainable aviation fuel – carburant durable pour l’aviation) et l’évolution des solutions vers l’hydrogène et une électrification accrue sont, par exemple, des questions importantes en vue d’accélérer la transition énergétique et de renforcer le développement durable de l’aviation. C’est d’ailleurs la première industrie engagée sur des objectifs concrets de réduction de gaz à effet de serre et qui démontre des progrès techniques continus depuis 2000 [1]. Cet engagement est en phase avec les Accords de Paris afin de ne pas dépasser l’objectif des 1,5°C de réchauffement global. Alors que l’utilisation des SAF apparaît plus guidée par la demande des passagers, l’appel aux énergéticiens (tels que Neste, TotalEnergies, Engie….) représente une orientation importante afin de mener ensemble la réflexion et de trouver des solutions communes.

Le message de Thierry BRETON, Commissaire européen au Marché Intérieur, interrogé par Philippe Mabille (Directeur de la rédaction de La Tribune), a abordé l’autre défi que représente la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Les suites de ce conflit qui induit des tensions sur l’énergie, l’arrêt des coopérations spatiales, des interruptions de chaînes d’approvisionnements et la conscience accrue du besoin d’harmoniser et de mutualiser les capacités de défense de l’Union Européenne (UE) renforcent la nécessité de rester unis face à la menace d’une guerre sur notre continent.

Une réflexion autour d’une défense commune venant concrétiser la coopération européenne a été menée et est venue renforcer la volonté politique d’y associer nos alliés notamment de l’OTAN et de faire vivre encore plus concrètement ces relations.

L’indépendance et l’autonomie spatiale sont importantes pour l’Europe et le développement des nouvelles technologies y nourrissent également son potentiel d’innovation.

 

Le thème général du Paris Air Forum 2022 « Ré-enchanter le Progrès » a donné lieu ensuite à plusieurs sessions parallèles dans quatre salles autour des thèmes de l’aviation civile, de la défense, du spatial et l’industrie aérospatiale en générale avec sa chaine de valeur et ses partenaires industriels allant de la fabrication à la maintenance en passant par les services. Les tables rondes y réunissaient des dirigeants et experts de chaque domaine, suscitant des échanges autour de grands enjeux tel que  « Aviation : Le progrès peut-il recréer le rêve ? », « Existe-t-il une éco-trajectoire réaliste ? », « L’Avion aura-t-il sa place dans le monde énergétique à venir ? », « Quel transport aérien pour demain ? » ainsi que de thèmes importants liés à la géopolitique tels que « De l’Ukraine à la Supply Chain, les défis de la relocalisation » et «  Souveraineté spatiale ! Constats et ambition après l’Ukraine et le sommet de Toulouse » ou encore « Comment la France peut-elle renforcer sa souveraineté ? » et « Comment la géopolitique impacte la transition écologique ? ».  Le thème du Newspace n’a pas été oublié ainsi que l’enjeu présent de « Comment attirer les talents dans l’aviation ? ». (Le programme complet des 4 salles est disponible sur https://parisairforum.fr/#1652947132465-9ba05738-3dc0)

Le fil rouge guidant tout cette édition du Paris Air Forum est resté obligatoirement la préoccupation du développement durable, de la décarbonation et des possibilités de transition énergétique et technologique avec les questions «  Quel transport aérien pour demain ? » et « Comment sécuriser un transport aérien décarboné, plus intelligent et accessible en volume et prix ? ».

Dans le ré-enchantement et le progrès de l’aviation ainsi que du spatial, le secteur numérique reste omniprésent au travers d’enjeux tels que la cybersécurité ou la consommation d’énergie mondiale des équipements informatiques  (lien: Consommation électrique du numérique), bien plus gourmands que le transport aérien au regard de son bilan carbone actuel. Ainsi, la numérisation croissante représente également un défi pour le développement durable de tout secteur, y compris l’aviation qui s’interroge sur sa croissance, sa décroissance ou sa sobriété. Par ailleurs, la conscience environnementale de la jeunesse (principalement des pays les plus avancés économiquement) est bien plus prégnante face à l’aviation que vis-à-vis du numérique (!).Si nous souhaitons préserver notre planète, des transformations écologiques s’avèrent bien nécessaires dans toutes les industries et pas seulement dans l’aérien,.

 

La journée a été ponctuée d’entretiens avec les personnalités et leaders importants d’Airbus (PDG Guillaume FAURY) ainsi que d’IATA (DG Willie WALSH). Ceux-ci témoignent des changements faisant suite à la crise du Covid-19 qui a ébranlé le secteur de l’aviation civile mondiale. L’aviation est un vecteur essentiel de connexions inter et intra continentales offrant la possibilité d’une mobilité efficace grâce à des infrastructures au sol permettant une empreinte environnementale réduite. Elle s’est engagée dès 2010, à réduire fortement son impact sur le réchauffement climatique grâce à l’élimination de ses émissions nettes de carbone à l’horizon 2050 (IATA net zero 2050).

Pour le rapprochement entre les peuples, l’avion est essentiel, et il faut décider, également au niveau politique, si le transport aérien doit rester accessible pour un plus grand nombre de voyageurs en procurant toujours l’émotion unique de la troisième dimension tout en offrant une mobilité intelligente et plus durable.

Pour ce faire, toute la chaîne de valeur de l’aérospatial est concernée et les embauches ont bien repris dans ce secteur qui fait face aujourd’hui à la difficulté de (re)trouver et de fidéliser les talents.

La question de l’existence d’une éco-trajectoire réaliste réclame des règles communes en fonction de la situation géographique et socio-économique de chaque pays. Il existe des préférences et impératifs (notamment en Europe), mais on a conscience dans l’UE de devoir harmoniser et standardiser ainsi que de parler d’une seule voix bien déterminée face aux Etats-Unis et à la Chine. Ainsi, il faut proposer un avenir technologiquement acceptable avec une règlementation standardisée qui sera applicable par tous les pays, évidemment compatibles avec la sécurité et la sureté, impératifs en aviation. Ensuite, il faut aussi être réaliste et tenir compte des singularités de chaque continent (Afrique, Asie etc.   ) ou région où une infime minorité a déjà eu la chance de prendre l’avion, mais où il subsiste une forte attente de pouvoir voyager et découvrir le reste du monde suite au développement croissant d’opportunités pour les citoyens et jeunes générations des pays émergents.

Malgré des différences sur les modalités et la temporalité, il faut aller vers la décarbonation à l’échelle de la planète et y aboutir rapidement. Dans des délais raisonnables, l’humanité doit définir un calendrier commun avec une règlementation et des certifications qui doivent aller plus vite afin de tirer profit de ce que les modèles et technologies valides proposent. Le potentiel de croissance du transport aérien parait immense, car seulement 5 % des habitants de notre planète ont déjà pris l’avion. Il est actuellement estimé que les émissions mondiales de gaz à effet de serre par le transport aérien représenteront entre 3% et 9% du total de tous les secteurs en 2050. Ainsi les enjeux d’innovation en matière de décarbonation et la sortie des crises actuelles demandent de la rigueur, de l’optimisme et une optimisation des ressources auxquels s’ajoute un besoin en personnel qualifié avec toute sa problématique de recrutement et de rétention. Pour fixer une trajectoire réaliste de l’évolution du transport aérien, qui est le rôle des politiques, il faut également associer toutes les parties prenantes notamment les ONG et continuer le dialogue avec la société civile pour une transition progressive responsable : un enjeu systémique demande une approche holistique plutôt que des micro-solutions locales.

En plus du besoin de créer des champions européens en cybersécurité, numérisation et transition énergétique, il faut de grands programmes afin de maintenir les compétences au niveau mondial dans ces secteurs hautement compétitifs. Les crises fréquentes demandent de la résilience et toutes les organisations du secteur aéronautique et spatial ont besoin de transformer, redévelopper et déployer leurs capacités. Un système de sécurité et de défense efficace va également aller dans le sens d’une transition socio-économique durable afin de contribuer à la Paix par une plus grande souveraineté énergétique et une position de force dissuasive.

Après une journée riche en échanges d’informations pertinentes entre experts et représentants du secteur, Max Armanet et Augustin de Romanet clôturent la journée par le constat que la décarbonation devra se faire car les clients (passagers) la demandent. Les aéroports devront coopérer et contribuer avec les compagnies aériennes à décarboner le transport aérien. Pour cela, tous les leviers doivent être activés à travers toute la chaîne de valeurs entre industriels, autorités et recherche pour que soient déployées les différentes solutions technologiques, organisationnelles, socio-économiques et politiques.

Rendez-vous pour la prochaine, 10e édition du Paris Air Forum qui aura lieu le vendredi précédant le BOURGET 2023.

 

Accéder au replay de l’événement

 


[1]  https://www.ecologie.gouv.fr/emissions-gazeuses-liees-au-trafic-aerien  
Net-Zero Carbon Emissions by 2050 : https://www.iata.org/en/pressroom/2021-releases/2021-10-04-03/