Interview de Michel Wachenheim, président de l’Académie,  pour la revue “Transport”.  Reproduit avec leur aimable autorisation.

Le président de l’Académie de l’Air et l’Espace revient sur les « urgences » auxquelles l’aviation mondiale est aujourd’hui confrontée. Celles-ci sont de deux ordres : technologiques et réglementaires. D’où son idée d’appeler à la tenue d’une conférence internationale afin de fixer le cadre mondial de ce qui prend les allures d’ une révolution technique et énergétique

Un séminaire sur deux jours consacrés au défi que représente pour l’Aviation la nouvelle donne climatique et réunissant quelques-uns des meilleurs experts mondiaux : pourquoi l’Académie de l’Air et de l’Espace s’est-elle mobilisée à ce sujet ?

M.W : L’idée de programmer un tel colloque est antérieure à la crise sanitaire. Lorsque nous en avons eu l’idée, avant mars 2020, le colloque était centré sur le défi climatique et sur la façon dont l’Aviation pouvait agir en la matière. Lorsque la crise est arrivée, nous avons intégré les impacts sanitaires dans la problématique de départ. De ce fait, le colloque a été scindé en 4 sessions : un état des lieux d’abord, un point sur la technologie et l’opérationnel ensuite, puis un examen de la problématique internationale et enfin, une réflexion prospective autour du besoin de voyager, des aspirations sociétales en fonction des évolutions sociologiques possibles ou attendues et des comportements futurs de nos concitoyens.

Le contexte politique devient de plus en plus pressant sur le transport aérien

L’idée de ce colloque s’est aussi imposée parce que nous considérions que le contexte politique devenait, devient, de plus en plus pressant sur le transport aérien avec les pressions des gouvernements, de l’Union Européenne alors qu’un certain nombre de différences au niveau mondial, entre les Etats sont palpables. Il y a en effet des différences politiques marquées selon les lieux de la planète que l’on examine, ce qui pousse à avoir une réflexion stratégique au niveau du transport aérien international.

Par ailleurs, ce colloque part aussi du constat que l’aviation civile est de plus en plus la cible de nombreux détracteurs. On cite à ce sujet les ONG mais il n’y a pas qu’elles. Il y a aussi des réactions, des initiatives de la part des jeunes générations d’étudiants. Ainsi l’association SupAero Decarbo dont les membres ont lancé leur propre réflexion à ce sujet. Faut-il enfin rappeler divers épisodes médiatiques telle l’arrivée de cette jeune militante suédoise à l’OACI qui avait tenu à rejoindre New York en bateau et qui, après cela, avait fait le voyage de New York à Montréal (siège de l’OACI) en train.

Cela révèle à tout le moins une inquiétude des jeunes populations. En étant suivi par de nombreux étudiants, en France comme à l’étranger, ce colloque s’est distingué d’autres événements sur les mêmes sujets.

Comment interpréter ce paradoxe que ces jeunes générations nées avec l’aviation s’interrogent aujourd’hui à son sujet ?

N’en déplaise à Mme le Maire de Poitiers, l’aérien suscite et continuera de susciter une part de rêve, notamment chez les jeunes. Il y a une aspiration naturelle à évoluer dans la troisième dimension et donc à vivre l’expérience du vol. Les jeunes générations ne disent pas que l’aviation doit décroître. Ils se demandent plutôt comment faire pour maintenir cette activité dans le respect de l’environnement. Cela a été bien mis en évidence lors du colloque.

Une autre raison pour laquelle nous avons organisé ce séminaire, c’est qu’il fallait aussi faire progresser les débats sur l’utilité du transport aérien, dans un contexte géopolitique et économique donné. Certains considèrent en effet que l’on pourrait se passer du transport aérien. Or, c’est un outil de développement économique reconnu. Les propos des intervenants en provenance d’Afrique présents à ce colloque ne laissent aucun doute à ce sujet. Ils ont bien confirmé que le transport aérien était un outil de développement dans beaucoup de pays, notamment insulaires ou enclavés. Tous les Etats, toutes les régions du monde ne pourront pas se doter en effet d’un réseau ferroviaire coûteux comme a pu le faire la France, à supposer qu’il soit plus vertueux sur le plan climatique. J’irai plus loin : la finalité du transport aérien est aussi mentionnée dans le préambule de la Convention de Chicago de 1944, qui rappelle que l’aviation civile est un outil d’amitié et de stabilité dans le monde. On n’imagine pas que chacun vive dans son coin. Et encore aujourd’hui moins qu’hier dans le contexte mondialisé. Avant l’aviation, la marine jouait ce rôle mais elle n’est plus en mesure de l’assurer à ce niveau aujourd’hui. C’est pourquoi il y a un intérêt géopolitique à maintenir des liens et notamment des liens aériens entre les peuples. D’ailleurs les premières lignes de la Convention de Chicago disent bien : « préserver l’amitié et la compréhension ».

« Il y a une tendance trop fréquente à l’entre soi »

Nous avons aussi conçu ce colloque avec la volonté très claire d’ouvrir le débat à toutes les catégories concernées, et non aux seuls experts parlant à d’autres experts. Nous avons en effet constaté une tendance trop fréquente à l’entre soi. C’est pour cela que l’aviation n’est pas bien comprise. C’est une prise de conscience récente : pendant des années, soit l’aviation ne parlait pas, soit elle ne parlait qu’au « Cercle ». C’est peut-être ce qui explique que l’aviation est vue comme un transport de gens privilégiés. Or, le climat concerne bien sûr toute la société. C’est important qu’on en tienne compte. D’où la nécessité de s’exprimer et d’entrer dans le débat.

Enfin, ce séminaire avait un but hautement pédagogique, en faisant parler des experts indiscutables. Car on s’adressait en grande partie à des étudiants faisant partie de différents organismes de formation en France et en Europe. Et nous avons voulu mixer la pédagogie et le haut niveau d’expertise. Depuis, les retours des écoles ont été très positifs.

En matière de calendrier politique, ce séminaire est-il bien tombé ?

Cela va être au tour de la France d’assurer la présidence de l’Union Européenne. C’est l’occasion de prendre l’initiative sur l’aérien. A ce sujet, je pense qu’il faut une initiative internationale. La France n’est pas le seul pays concerné. C’est pourquoi nous avons voulu impliquer des personnes de différents pays car le transport aérien et le climat sont des problèmes mondiaux.

Entre carburants aéronautiques durables (SAF) et hydrogène, quelle peut être la meilleure solution ?

Que penser de l’horizon 2050 qui a été souvent cité durant le colloque comme l’objectif ? Selon vous est-il tenable ?

A-t-on les moyens de freiner les émissions de CO2 jusqu’à la neutralité carbone ? C’est la seule vraie question. Aujourd’hui comme le débat n’est pas bien posé, les gens de l’aviation affirment que nous allons y arriver ; a contrario, des représentants de la société nous disent que c’est impossible, parce que trop compliqué et que la seule solution est d’imposer une décroissance au transport aérien.

Pourtant il y a des solutions. C’est un peu court de dire que, parce qu’on utilise des énergies fossiles, il faut décroître, sans prendre en considération les ruptures technologiques qui permettraient d’atteindre les objectifs. Et, lors de ce séminaire, nous avons précisément voulu faire le point précis sur les pistes technologiques possibles. A ce sujet, on l’a vu, tout le monde n’exprime pas les mêmes points de vue.

Deux grands sujets ont été traités par les experts : d’une part les carburants aéronautiques durables (ou SAF pour Sustainable Aviation Fuels) et leur évolution dans les prochaines décennies, et d’autre part l’hydrogène liquide.

A la question « est-il possible de faire évoluer les carburants utilisables sur les moteurs actuels pour diminuer les émissions ? » les experts présents ont répondu positivement. On peut produire des carburants beaucoup moins polluants et avancer peu à peu vers l’étape ultime qui serait de produire des carburants synthétiques en captant le CO2 de l’atmosphère. Ce faisant, on se rapproche du Zéro en matière d’émissions de CO2. C’est l’objectif et la stratégie de certains acteurs. L’avantage d’une telle stratégie est que les moteurs actuels pourraient être utilisés sans grandes modifications. Progressivement, la technologie évoluerait jusqu’à réduire les émissions nettes des avions à zéro.

L’autre solution qui a été largement évoquée est l’utilisation de l’hydrogène liquide. C’est un carburant très énergétique mais faiblement dense, ce qui implique de disposer de grands réservoirs très résistants et de pouvoir le conserver à – 253° C, en respectant toutes les exigences de sécurité, avec la complexité technique que cela suppose. Il faudra organiser sa production et sa distribution sur les aéroports, ce qui rendra plus difficile

une utilisation à grande échelle. De l’avis général, cela ne sera pas la solution pour le long courrier avant longtemps. D’où la question : peut-on poursuivre simultanément des stratégies aussi différentes ? Et dans ce cas-là, comment concevoir l’organisation du transport aérien mondial ?

On sent malgré tout que les carburants de synthèse, seront plus faciles à mettre en œuvre C’est pourquoi il faut avancer sur ces carburants. Mais, j’insiste, nous ne pouvons faire l’économie d’une réflexion sur la stratégie mondiale pour déterminer si deux systèmes aussi différents pourraient coexister, et comment.

Qu’est-ce qui vous fait craindre qu’en effet, on ne puisse pas parvenir à un seul système admis et utilisé par tous ?

Comme on le sait, les constructeurs ont lancé des programmes d’études. Boeing a annoncé qu’il préparait un avion à carburant 100% renouvelable à l’horizon 2030. Airbus a lancé trois projets d’avions utilisant l’hydrogène. D’où la question : entre les avions américains et les avions européens, sans oublier les chinois, comment le marché aéronautique s’organisera-t-il ? Quid des questions logistiques ? On se doute que les aéroports sont également concernés au premier chef par les problèmes d’organisation de la distribution de carburant. Les compagnies aériennes devront-elles s’équiper d’avions en fonction des destinations desservies ? Quelle influence de ces technologies de rupture sur le marché des avions d’occasion et donc sur le bilan des propriétaires d’avions ?

Admettons qu’on mette au point comme prévu ces technologies. Il restera tout de même à établir toute une série de nouvelles normes techniques, ce qui suppose une préparation au niveau international. Or, rappelons-nous qu’il faut quelquefois 10 ans à l’OACI pour mettre au point une nouvelle famille de normes. Cela veut dire que le travail doit commencer dès maintenant, qu’il faut mettre au point à la fois une stratégie commune au niveau mondial et une évolution de l’OACI, de façon à prendre en compte cette politique climatique dans l’établissement de la réglementation.

Enfin dernière question : si une des technologies est en mesure de satisfaire totalement l’ambition de neutralité carbone, quel sera l’intérêt de la seconde ?

« Il faudrait que l’Europe lance une initiative »

« On ne cesse de répéter qu’il y a urgence en la matière »

Il y a une double urgence. D’abord une urgence climatique, rappelée lors du séminaire par Valérie Masson-Delmotte. Il faut en effet se fixer des objectifs de neutralité carbone dès la présente décennie si l’on veut respecter l’objectif de +3°C à la fin du siècle.

Et, pour cette raison, il y a urgence à mettre en place le cadre réglementaire. Car si le cadre réglementaire n’est pas pris en compte dès le démarrage des travaux de recherche, il faudra longtemps pour y parvenir. L’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) qui établit les normes internationales, créée par la Convention de Chicago (1944), compte 193 Etats. Ce qui explique qu’elle bouge doucement…. comme un rouleau compresseur, certes qui avance et c’est sa force, mais lentement et c’est sa faiblesse. D’où la nécessité d’une impulsion. Il faudrait que l’Europe lance une initiative, peut-être une conférence internationale. Lors de son intervention, Jean-Paul Herteman, ancien PDG de Safran, n’a pas hésité à parler d’un « Chicago II », ce qui situe l’importance de l’enjeu. Il faut transformer l’OACI de manière à y faire entrer le climat au même niveau de priorité que la sécurité. C’est vrai que depuis 50 ans, l’environnement a été pris en compte par cette organisation – notamment dans les domaines des nuisances sonores ou des émissions d’oxydes d’azote et de particules fines, mais pour les émissions de gaz à effet de serre, les choses ont été plus lentement. Des normes d’émission de CO2 ont été adoptées en 2016 pour les avions neufs et un système de compensation (CORSIA) a été adopté pour maintenir les émissions au niveau de 2019. Mais maintenant, il faut aller beaucoup plus loin : faire entrer les objectifs climatiques dans les bases de la Convention de Chicago et que la politique de l’OACI change radicalement d’échelle dans ce domaine. Ce n’est pas une évolution au fil des procédures de l’Organisation qui est nécessaire, c’est un véritable saut quantique, une rupture.

Mais, l’objectif 2050 que s’est fixé l’aviation est-il tenable ?

Les avionneurs seront prêts technologiquement à fabriquer des avions nouveaux. Mais il y a un autre aspect : quid des avions qui volent actuellement ? Ceux qui entrent en service aujourd’hui voleront encore en 2050 et, comme vous pouvez le remarquer, Airbus et Boeing continuent de les vendre aujourd’hui. Donc la question de la modernisation des flottes doit être un élément de la problématique. C’est une question importante : à partir du moment où l’on sait qu’on aura résolu le problème avec de nouveaux avions et de nouveaux carburants, pourra-t-on admettre que l’aviation bénéficie d’un certain retard, ou délai, pour régler le problème économique et pour savoir comment les compagnies aériennes seront soutenues pour la modernisation de leur flotte. Car on comprend bien que si de tels nouveaux avions deviennent la norme, le marché de l’occasion sera impacté. Qui financera alors les investissements des compagnies rendus obligatoires ? La problématique de la transition entre vieux et nouveaux avions doit être discutée dès aujourd’hui. Car si les grands pays producteurs prennent des décisions unilatérales sur le sujet, comment fera-t-on pour éviter les distorsions ? C’est l’un des sujets dont doit s’emparer l’OACI : comment organiser la transition ? Cela rappelle ce qui s’est passé pour la limitation du bruit en 2001, lorsque l’Europe voulait interdire certains avions bruyants (dits hushkités). L’OACI a dû instruire un différend important entre les Etats-Unis, et l’Europe, et celle-ci a dû modifier la réglementation qu’elle avait mise en place. D’où la nécessité de négocier en amont de façon à arriver à un consensus.

Pour le reste, et pour répondre à votre question, pour les différentes raisons évoquées précédemment, il est possible qu’en 2050, la flotte mondiale n’atteigne pas complètement le résultat attendu, et peut-être faudra-t-il définir des étapes. Mais le plus important n’est- il pas d’avoir une perspective crédible ?

« On ne peut pas imposer à tous les mêmes règles au même moment »

Cela amène une autre interrogation : en matière de lutte contre les émissions. D’autres secteurs d’activité que l’aviation disposeront de moyens plus faciles à mettre en œuvre et moins onéreux pour se réformer. C’est pourquoi, à mon sens, il n’est ni utile, ni justifié d’imposer à tous les mêmes règles au même moment. Des secteurs seront en avance et d’autres en retard. Et de même, il y aura des Etats émergents qui auront des croissances de trafic plus importantes que celles que connaîtront au même moment l’Europe ou les Etats-Unis. Afin de s’assurer que la feuille de route est respectée, il serait bon d’observer en permanence l’évolution de la décarbonation du transport aérien mondial.

Quand on y regarde de près, on voit que le concept de différenciation est contenu dans l’accord de Paris. En effet, celui-ci n’impose pas de contraintes d’émissions identiques à tous les Etats, mais il leur demande de s’engager sur des objectifs nationaux, pour atteindre un objectif mondial. Et le concept du protocole de Kyoto de « responsabilité commune mais différenciée » est toujours d’actualité. Les actions à mettre en œuvre peuvent être différenciées. Pourquoi pas alors l’appliquer en matière aérienne ? Si l’objectif commun est bien clair, la répartition optimale des efforts entre les acteurs n’est pas forcément uniforme.

On est donc au pied du mur ?

Il faut bouger maintenant sur les carburants. Il faut bouger sur l’harmonisation internationale. Je le répète il faut organiser une conférence internationale et bouger sur l’OACI et sur l’économie. Tout cela coûte, va coûter. Or, nous voyons bien que les compagnies aériennes, plongées dans les conséquences de la pandémie, n’auront pas forcément les moyens de moderniser leurs flottes. Il faudra donc des incitations pour les aider à les renouveler. Et ce renouvellement est souhaitable dès maintenant puisque les progrès enregistrés d’une génération d’avion à l’autre pourraient permettre d’économiser entre 40 et 60% d’émissions. L’un des intérêts de ce colloque a été de montrer qu’une approche progressive en la matière était possible.

L’un des sujets récurrents demeure la fiscalité applicable au transport aérien : entre des mesures confiscatoires, ou unilatérales, et des mesures incitatives favorisant la mise en œuvre de ce progrès, comment se situer ?

L’OACI a déjà mis en œuvre le CORSIA, qui prévoit de compenser les émissions et qui envisage de ne pas dépasser le niveau des émissions de 20191. Au-dessus de cette limite, les compagnies devront compenser leurs émissions de CO2 en achetant des crédits carbone. Mais l’objectif du secteur était jusqu’à maintenant, non seulement de ne pas dépasser le niveau de 2019, mais surtout de décroître ensuite à -50% en 2050 (par rapport au niveau de 2005). Le Directeur Général de l’IATA a indiqué au cours de ce colloque que le secteur allait se fixer des objectifs beaucoup plus ambitieux et tenables. Aujourd’hui, la tonne de CO2 coûte autour de 40 euros. Peut-être n’est-ce pas assez cher pour inciter à la modernisation des flottes ? Peut-être faut-il mettre en place des primes à la casse ? Ou d’autres incitations ? Mais il est sûr que le prix de la tonne de CO2 va augmenter et atteindre des niveaux très élevés car le marché des compensations va s’épuiser tout seul : les tonnes de CO2 deviendront de plus en plus rares et ne pourront donc qu’être plus chères. Cela devrait suffire, sans qu’il soit nécessaire d’imposer des taxes susceptibles de créer encore une fois un différend international à l’OACI.

En matière de taxe, comment pourraient évoluer les ETS ?

L’ETS-aviation ne concernent que les vols intracommunautaires. Les vols internationaux sont exclus du système. Le CORSIA est le seul système de régulation admis au niveau mondial. Mais les Etats gardent la possibilité de moduler des redevances ou des taxes, comme c’est déjà le cas sur certains aéroports.

L’autre question concerne évidemment les carburants. Actuellement, ils bénéficient d’une exonération, en vertu d’une résolution du Conseil de l’OACI. Faudra-t-il réformer ce système ? Si on ne parvient pas à un consensus là-dessus, il est probable que les Etats commenceront à taxer, de façon unilatérale, ce qui ne pourra qu’entraîner des mesures de rétorsion. C’est un sujet qui n’est pas tabou. Et, là encore, une conférence internationale pourrait permettre de rechercher un accord.

Mais soyons bien conscients que de telles mesures ne feront que renchérir les coûts. Que font les compagnies lorsque le pétrole augmente ? Elles peuvent augmenter le prix du billet et le trafic en est affecté. Elles peuvent aussi ne pas répercuter la hausse en raison de la concurrence internationale, et elles voient leurs marges baisser, ce qui se répercute sur leur capacité d’investissement. Or, ce que nous voulons c’est les pousser à la modernisation de leurs flottes. Ceci veut dire que sans accord mondial, toute taxation du carburant aéronautique aurait pour conséquence de retarder la diminution des émissions de CO2.

Restent ces associations qui remettent en cause l’aviation et le transport aérien. Comment comprendre que l’aviation ait pu donner l’impression de ne rien avoir à répondre à ces mouvements ?

Il faut désormais élargir le cercle. C’est cela la stratégie de l’Académie de l’Air et de l’Espace. Lorsque j’ai été élu, mon objectif était l’ouverture de l’Académie vers les jeunes et vers l’Europe. Aujourd’hui nous ne devons exclure rien ni personne. Il faut sortir. S’ouvrir vers le monde. Je suis très favorable à ce que toutes les initiatives soient accueillies et à ce qu’on puisse mettre en œuvre des mesures constructives. Dans cet esprit, nous avons recommandé la création d’un Observatoire de la décarbonation. Avec cet outil, notre ambition est de cesser la guerre des chiffres et d’enfin débattre sur le fond de façon crédible. Notre idée est d’objectiver les chiffres et de bien suivre les évolutions technologiques, politiques, économiques et même sociologiques. De même, il nous semblerait utile de créer une instance de concertation au niveau européen, qui puisse être consultée sur la politique de transport aérien en Europe, un Conseil Européen de l’Aviation Civile où toutes les parties prenantes auraient la parole, comme ce séminaire a tenté de le faire.

De même, à l’Académie, allons-nous créer une commission qui portera sur l’environnement et l’énergie et nous publierons en juin un avis qui rassemblera toutes les recommandations.

1) Système Corsia : L’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) a adopté en 2016 le programme Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation (CORSIA), visant à compenser la part des émissions de CO2 des vols internationaux excédant leur niveau de 2019. Signé par 191 pays, le programme CORSIA voit les compagnies aériennes acheter des crédits générés par des projets bas carbone internationaux éligibles. Un crédit carbone équivaut à une tonne d’équivalent CO2 évitée. Le dispositif CORSIA est entré en vigueur pour une période pilote volontaire en janvier 2021 et deviendra obligatoire pour l’ensemble des opérateurs en 2027.

Interview de Michel Wachenheim, président de l’Académie,  pour la revue “Transport”.  Reproduit avec leur aimable autorisation.