L’Académie de l’Air et de l’espace (AAE) a mandaté un groupe de travail pour élaborer une prise de position sur l’impact des grandes constellations de satellites sur les observations astronomiques depuis la Terre et les observations géophysiques depuis l’espace. Le groupe était animé par Alain Hauchecorne, président de la section 1 de l’AAE. Il comprenait des membres de l’AAE (Michel Blanc, Michel Courtois, Tanja Masson-Zwaan,  Karl-Ludwig Klein,  Sylvie Vauclair) et des experts extérieurs (Olivier Hainaut, ESO; Eric Lagadec, SF2A; Hervé Roquet, Météo France DESR/DAP).

Le groupe de travail s’est réuni une dizaine de fois par visioconférence, entre Mars 2020 et le printemps 2021, et a écouté différents experts externes (I. Thomas, Station de radioastronomie de Nançay; J.Mariez, CNES; P. Baiocco, CNES; L. Vigroux, MESRI). L’AAE les remercie pour leur aide. Le texte suivant est la déclaration de l’AAE fondé sur le rapport du groupe.

Déclaration sur l’Influence des grandes constellations de satellites sur les observations depuis et vers l’espace

L’avènement des grandes constellations de satellites, avec plusieurs centaines d’éléments déployés à ce jour, et des dizaines de milliers à venir dans un avenir proche, entraîne un changement sans précédent dans la qualité de vision du ciel nocturne. Sont concernées les observations astronomiques du ciel depuis le sol, ainsi que les observations géophysiques depuis l’espace. Le présent texte a été élaboré par l’Académie de l’Air et de l’Espace en France, sur la base des recommandations d’un groupe de travail réunissant des experts en recherche astrophysique et géophysique, en droit spatial, et en conception et opérations de satellites.

L’Académie a pris note de l’impact des grandes constellations sur les observations scientifiques :

  1. La réflexion de la lumière solaire par les satellites affecte les observations du ciel nocturne en lumière visible et dans les longueurs d’onde infrarouges. L’impact s’échelonne avec l’étendue du champ de vue de l’instrument et avec le temps d’exposition. Étant donné le nombre prévisible de satellites dans un avenir proche, comme prévu par SpaceX (Starlink) ou d’autres sociétés comme OneWeb, des études quantitatives détaillées ont été entreprises par les astronomes. Elles font penser que l’impact sur les télescopes ayant un petit champ de vue, comme ceux exploités par l’Observatoire européen austral (ESO), sera gérable. Les observations du ciel entier prévues avec l’Observatoire Vera Rubin, actuellement en construction au Chili, seront fortement affectées par la saturation due aux satellites les plus brillants, et par les nombreuses traînées plus faibles sur les images. Des techniques complexes d’élimination partielle des signaux parasites doivent être développées, sans aucune perspective de solution complète du problème. L’observatoire Rubin obtiendra les cartes du ciel les plus profondes avec une cadence presque quotidienne, ce qui permettra de construire des catalogues astronomiques de plusieurs ordres de grandeur plus riches qu’auparavant et une vision sans précédent de l’évolution temporelle. Les astronomes s’attendent à une perte de performance certaine, malgré une coopération bien développée avec SpaceX sur le problème de saturation des détecteurs causé par les satellites les plus brillants.
  2. Le simple nombre de satellites et leur émission à proximité de 14 GHz (Starlink) aura un impact sur la radioastronomie, même si les satellites émettent et reçoivent dans les bandes autorisées. La nécessité d’une plus grande sensibilité pour la recherche sur l’univers lointain suscite des projets qui ne peuvent être réalisés que lorsqu’une large gamme de fréquences est accessible, à la fois parce que l’intégration sur une large gamme de fréquences améliore la sensibilité et parce que les signatures caractéristiques à une fréquence spécifique sont décalées par effet Doppler vers une fréquence différente lorsqu’elles sont émises par une galaxie éloignée. Ces observations ne sont pas protégées par les accords internationaux sur l’attribution des fréquences individuelles. La stratégie choisie par les astronomes professionnels consiste à construire de nouveaux instruments sur des sites éloignés de toute interférence terrestre. Si les interférences avec les signaux d’un nombre limité de satellites peuvent être gérées sur ces sites, le nombre énorme d’émetteurs dans les grandes constellations va compromettre cette stratégie.
  3. La proximité entre les fréquences employées par les constellations actuelles et prévues dans le futur et les domaines spectraux utilisées pour les observations passives de l’atmosphère et de la surface de la Terre depuis l’espace est également une source de préoccupation, en particulier autour de 19 GHz et 37 GHz. Pour préserver les observations scientifiques, le strict respect des spécifications des différents satellites sera crucial. L’expérience des constellations de satellites passées, telles qu’Iridium, montre que ce respect n’est pas garanti et qu’il est impossible de le faire respecter une fois le satellite déployé. Aujourd’hui, les licences sont accordées aux opérateurs de satellites sans tenir compte de ces effets négatifs, et aucune contrainte n’est imposée sur la conception et l’exploitation des satellites afin d’atténuer ces effets. Il serait souhaitable que les organismes compétents prennent ces aspects en considération au cours du processus d’octroi des licences.
  4. Il semble qu’une coopération constructive ait été développée entre SpaceX et les astronomes professionnels, et des efforts similaires commencent avec OneWeb et Kuiper. Cela démontre une réelle volonté de la part de l’industrie de limiter l’impact de leurs activités sur les observations astronomiques. Il est néanmoins clair que ces limitations réduiront, et non supprimeront, l’impact, en particulier sur les instruments optiques à grand champ de vue. En outre, il n’est pas du tout garanti que tous les opérateurs de satellites envisagent d’engager un dialogue similaire avec la recherche. Une telle coopération apparaît comme une expression de bonne volonté de la part de l’industrie, qui est la seule instance disposant d’un réel pouvoir de décision. Cette position est de nature à détruire les possibilités d’amélioration des observations astronomiques depuis la Terre.

Conclusions et recommandations

  1. L’Académie de l’air et de l’espace invite les autorités en charge de la politique spatiale et de régulation des opérateurs de satellites à prendre en main cette question. L’Académie est consciente qu’aucune réglementation juridique ne protège la vision du ciel. Il est cependant nécessaire de préserver la recherche scientifique et plus généralement la vision du ciel nocturne par le grand public. La protection de la vision du ciel nocturne n’est pas soutenue par des intérêts économiques et la société n’a aucun moyen de pression sur les décideurs. Il est donc important que les Etats adoptent des mesures de type réglementaire permettant un juste équilibre entre les intérêts économiques, scientifiques et culturels. A cet égard l’Académie souhaite que les Etats membres du Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique de l’ONU (CUPEEA, COPUOS en anglais) soutiennent la proposition récemment présentée par l’Union astronomique internationale (UAI) de mettre cette question à l’ordre du jour du CUPEEA afin d’élaborer une série de recommandations ou lignes directrices qui permettraient de minimiser les perturbations apportées par ces constellations en orbite basse aux observations astronomiques et géophysiques.
  2. L’Académie de l’air et de l’espace recommande que la communauté scientifique examine quantitativement l’impact des grandes constellations en orbite basse sur les observations astronomiques et géophysiques en liaison avec les industriels constructeurs de satellites et les opérateurs de telles constellations. Ceci n’est possible qu’à travers une discussion basée sur des informations techniques solides et une réelle expertise scientifique et d’ingénierie. Un tel travail doit être reconnu par les instances d’évaluation de l’activité scientifique. Le travail en coopération entre les astronomes et les ingénieurs de la société SpaceX peut servir de modèle. En France, les services d’observation placés sous l’autorité du CNRS/INSU fournissent un cadre tout à fait approprié pour de telles activités.
  3. L’Agence spatiale européenne (ESA) et les agences spatiales nationales telles que le CNES en France, devraient se pencher sur la question et apporter leur expertise et leur soutien afin d’identifier les solutions envisageables qui seraient susceptibles de minimiser les perturbations dans les domaines optique et radiofréquence, comme des solutions dans la conception des satellites pour la réflexion de la lumière solaire ou l’établissement de zones calmes pour l’émission d’ondes radio.
  4. L’Académie de l’air et de l’espace recommande de mettre en place des dispositifs de surveillance du respect des règles régissant les autorisations de développement de constellations par les opérateurs, en particulier dans le domaine radiofréquence.
  5. L’Académie de l’air et de l’espace recommande que dans le processus d’autorisation d’opérer des larges constellations dans le contexte de l’article VI du Traité de l’Espace de 1967, l’impact sur les activités scientifiques liées à l’observation astronomique et à l’observation de la Terre et sur la météorologie opérationnelle, soit pris en compte.

 

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